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Dans les Vues et Paysages, la colorisation des images, si talentueuse fût-elle, se contentait surtout de reproduire ce que ne faisait pas encore la photographie en couleur (l'autochrome est commercialisé par les frères Lumière avec une série commanditée par Albert Kahn en Tunisie vers 1910) : il suffit donc de s'approcher au mieux de la "réalité" avec le meilleur de la technique du moment, avec parfois quelques effets déjà évoqués : couchers de soleil rougeoyant, choix dans les couleurs dominantes avec des cartes aux couleurs vives et d'autres plus unicolores. Avec les Types et Portraits c'est bien à un travail de re-création que se livrent Lehnert & Landrock avec des choix esthétiques si différents, une palette de couleurs si large, des tons les plus clairs à des teintes plus assombries, et des variations si subtiles selon les séries, que l'on a pu écrire que Matisse ayant vu ces cartes, se serait inspiré au-delà du pittoresque et de l'anecdote qu'il n'appréciait guère de la tension plastique des compositions et des jeux de lumières fixés sur la photo", autant de qualités que l'on retrouve effectivement dans son œuvre marocaine (1).
Naissance du portrait
Cette
oeuvre de colorisation de qualité exceptionnelle à
l'époque est très supérieure aux inutiles
effets picturaux des Levy qui, à de rares exceptions
près, manquent totalement d'inspiration. Il faut bien sûr
distinguer dans cette série l'œuvre érotique plus ou moins explicite
qui a fait en grande partie la renommée de Lehnert, mais il ne faudrait
pas négliger les autres images.
Une mise en scène de la population indigène
L&L présente ainsi un tableau très vivant de la population tunisienne déjà esquissé par Soler et surtout Garrigues dont quelques tirages diffusés aprés sa retraite sont assez proches de l'oeuvre de Lehnert : du riche marchand au nègre musicien, de la jeune bédouine au mendiant aveugle, du portefaix espiègle au rabbin juif , le même vieillard jouant le rôle du rabbin, du changeur juif, d'un ciseleur arabe et du propriétaire d'un palais tunisien, la même jeune fille juive devenant au grè du photographe marchande de couscous ou fabricante arabe de tapis : "mise en scène" strictement artistique à ne pas confondre avec les errements de la diffusion commerciale de cette oeuvre du Maroc à la Syrie sans aucun souci d'authenticité locale puisque, par définition, un empire colonial abolit les frontières (4). Dans ces "Etudes
photographiques orientales", les colons français et italiens (les
légendes italiennes sont destinées à ces derniers
plus nombreux que les Français, ainsi qu'aux touristes et voyageurs)
n'ont pas leur place. De reste Lehnert n' jamais eu le projet de faire
" le tour du propriétaire" et témoigner des "progrès"
de la civilisation apportée par le colonisateur (5). Quant au Bey de Tunis
et sa cour, "cliché" maintes fois reproduits par Neurdein,
Soler et Garrigues (ces derniers se disputant le titre de photographe
officiel du Bey) ils n'apparaissent que sur une seule carte en noir
et blanc (n°344). J'ai bien vu une photo d'une réception
au Bardo et des cartes postales publiées par d'Amico à l'occasion
des fêtes de Carthage en 1907. On trouve aussi dans la revue Tunisie illustrée
(1910-1914) quelques exemples de portraits privés : Madame
Alapetite, épouse du Résident Général,
Mohamed Belkhodja, chef du protocle du bey, le peintre Percy Day,
mais ce n'est qu'à son retour à Tunis en 1930 que
Lehnert, abandonnant en partie son oeuvre orientaliste, se consacrera
avec succés à sa carrière de portraitiste mondain.
Les modèles de LEHNERT : une "Antiquité vivante"
En ce qui concerne les modèles, on a beaucoup écrit sur les difficultés de trouver en Terre d'Islam des personnes acceptant de se faire photographier pour des raisons religieuses, morales ou liées à des croyances superstitieuses, sans parler de la confiscation organisée de l'image par le pouvoir (les dignitaires musulmans ne se génaient pas pour se faire photographier ou pour manier l'appareil photographique eux-mêmes !). Après avoir d'abord cru que les clichés les plus lestes de Lehnert avaient été pris dans un bordel de la ville, il fut admis qu'il s'agissait de prostituées ou de femmes juives costumées en mauresques mais que les séances de prises de vues avaient eu lieu dans la demeure de Lehnert (voir Vues de Tunis, texte, note 8). J'ai identifié dans mon livre plusieurs adresses où Lehnert a réalisé ses compositions mais je ne pense pas que sa maison du 7, rue des Tamis en fasse partie. L'hypothèse des bordels me paraît donc plus vraisemblable. Le
peintre Alexandre Roubtozff raconte dans son journal à son
arrivée à Tunis, en 1914 comment il a pu rencontrer
grâce à un guide professionnel une famille composée de bédouines habitant un quartier isolé
de la ville et qui avait servi de modèles à Rudolf
Lehnert. La "vieille" se nommait Alia et grâce aux tableaux du
peintre on peut ainsi retrouver certains prénoms comme
Fatima, Hania, Aida, Salma, Mahjouba, Messaouada, Mabrouka et Ayada,
les trois derniers prénoms étant mentionnés
en légendes de cartes L&L. Roubtzoff précise
qu'il payait son modèle 1,50fr. l'heure de pose (6). L'érotisation des
adolescents qui prolonge la représentation traditionnelle
des petits métiers occupés par les enfants (fameuse
série des yaouleds de Geiser par exemple) choquera certainement
la morale moderne désormais attentive aux droits de l'enfant,
dans un contexte actuel où la pédophilie est au centre
des préoccupations des médias et de la justice. Pourtant
elle n'est guère surprenante : c'est le signe d'une précocité
sexuelle remarquée par tous les voyageurs, (la très belle
série sur Les Amoureux (7) qui rompt le tabou de la mixité
met ainsi en scène de jeunes modèles) et le reflet d'une
civilisation où le corps des femmes est caché au contraire
de celui des adolescents, au moment où le Maghreb, et la Tunisie
en particulier, deviennent un lieu de rencontres privilégié pour les
homosexuels occidentaux au même titre que Venise ou le Sud de
l'Italie. Moment décisif où les homosexuels n'ont encore
comme référence principale que la tradition pédérastique
de la Grèce antique qu'ils croient retrouver en Islam. Dans son
procés, Wilde parlera aussi de Michel Ange et de Shakespeare.
Mais c'est aussi l'époque où l'Occident commence à
définir la notion moderne d'homosexualité à partir
de considérations médicales et non plus pénales,
tout en produisant une littérature moralisatrise et ethnocentrique
qui décrit l'Orient comme une terre priviligiée pour les
sodomites : réponse en quelque sorte à la croyance fort
répandue en Orient que tous les Occidentaux étaient efféminés
et qu'il n'y avait guère de péché de s'en servir
comme d'une femme : André Gide évoque dans l'Immoraliste
(1902) ses premiers émois homosexuels en Tunisie et ses
nombreuses expériences en Algérie. Von
Gloeden diffusen ses nus depuis Taormine en cartes postales
à partir de 1905, oeuvre que Lehnert connaissait sans nul doute,
s'étant rendu lui-même dans cette ville lors de voyages
effectués dans le sud de l'Italie (9). On peut évidemment
critiquer ces assimilations parfois anachroniques d'autant qu'elles
cachent souvent une réalité sociale peu reluisante. Il
faut cependant souligner que ce discours esthétisant s'oppose complètement
à l'idéologie colonialiste. Pour les uns, les vrais héritiers
des Anciens ce sont les Maghrébins : Delacroix prétendait
déjà que le drapé antique n'allait bien qu'aux
Arabes...
Un Harem colonial
Quant au "Harem"
de MM. Lehnert et Landrock c'est tout un livre
qu'il faudrait lui consacrer : qu 'il s'agisse d'un "harem occidental"
(voir note 15) et même colonial, c'est l'évidence même ! D'abord ni Lehnert ni Landrock n'est français, même si l'esthétique Lehnert emprunte beaucoup à Ingres et à la peinture orientaliste de la fin du siècle (où l'exotisme de bazar se bat toujours contre le réalisme photographique). A ce sujet il faut rappeler avec Alain Fleig que "l'érotisme est constitutif de l'orientalisme, de ce regard-désir porté sur l'Autre" (12) . Il y a dans ces études
académiques orientales, titre d'une série tunisienne
où les légendes sont écrites au dos de la carte,
la même recherche de la beauté et d'une pose idéale, L'érotisme de Lehnert n'est jamais pornographique, comme peut l'être parfois celui de Neurdein ou Levy, mais il n'est pas toujours aussi innocent qu'on veut bien le croire : ainsi plusieurs clichés jamais publiés en carte postale montrent de jeunes bédouines attachées par une corde à la fameuse colonne torsadée. Bien sûr, il s'agit là, et en plein accord avec le modèle, de la mise en scène dun fantasme (ici celui de l'esclavage). Pour l'essentiel, l'oeuvre de Lehnert est surtout un hommage à la beauté dont on ne trouve d'équivalent que chez Jean Geiser. Photographie du désir également : Gide écrit à ce propos que Tunis est "une terre de volupté" qui "satisfait mais n'apaise pas le désir, et toute satisfaction l'exalte"(15). Questions : doit-on reprocher
à Lehnert une photo où la femme dénudée
reste voilée car il montrerait à la fois l'interdit et sa
transgression, effet esthétique par ailleurs fort réussi ? Tout n'est donc pas aussi simple que certains aimeraient à le penser, de peur sans doute d'ouvrir la porte à un travail de mémoire bien plus universel que celui auquel on pense habituellement ! Le dévoilement scandaleux, c'est en effet d'accepter enfin l'idée que les photographies érotiques de Lehnert ne témoignent pas que de l'imaginaire occidental, que cet imaginaire n'est guère différent de celui de la poésie arbo-berbère et, suprême défi, qu'elles renseignent autant sur la violence du colonisateur que sur celle de la société musulmane traditionnelle dénoncée par Haddad dès les années 20 !
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(1) lire Alain FLEIG qui malheureusement ne cite pas ses sources (Rêves de Papier, Ides et Calendes, Neuchatel, 1997, pages 26 et 42) (2) Partrick DUBREUCQ Alexandre ROUBTZOFF ( ACR, Paris, 1996) pages 110 et 132 (3) Malek ALOULLA et Leyla BELKAID, Belles Algériennes de GEISER (Marval, Paris, 2001): on verra que la beauté de ces femmes a pu envouter des générations de colons et d'autochtones, les cartes de GEISER, comme celles de FRECHON pour les scènes de genre étant encore diffusées en "couleurs naturelles" tout au long des années 1950 par JOMONE et SIRECKY! Pour ceux que le sujet des bijoux intéresse, voir aussi Bijoux ethniques (Philippe Picquier, Arles, 2002): en page 16 on trouvera en illustration une carte couleur de LEHNERT & LANDROCK (MABROUKA n° 533) sans le nom des auteurs de la carte en légende... (4) L'entreprise des LEVY, NEURDEIN, P S Collection et consorts a ainsi été dénoncée sans doute avec pertinence par Malek ALLOULA dans Le Harem colonial (Séguier, Paris, réed 2001). Malgré quelques rares réussites esthétiques c'est une idéologie à dominante "colonialiste" diffusée depuis Paris qu'Alain FLEIG distingue de la production "coloniale" (Rêves de Papier, page 24) à laquelle appartient historiquement l'oeuvre de LEHNERT&LANDROCK, laquelle n'échappait pas non plus aux critiques par ses légendes erronées sur certaines cartes postales (voir présentation générale). (5) Malek ALLOULA interprète ainsi le classement usuel "factice et simplificateur" des cartes coloniales en "Paysages et Vues" et "Scènes et Types" (Le Harem Colonial, op cite, page12). L&L préfèrent parler de "Vues d'Orient" et de "Types et Portraits". Ce n'est déjà pas la même chose ! On s'est déjà rendu compte du peu d'intérêt porté dans son oeuvre par LEHNERT aux progrés de la civilisation et du modernisme, du moins dans sa période tunisienne, et de l'absence de cartes postales commémorant des voyages officiels ou célébrant la présence française. Tout au plus pourrait-on mentionner la présence du Monument Jules Ferry à Tunis et une photo du bey avec sa cour... On sait aussi que le studio réalisait des portraits de touristes (ou de colon)s en costumes arabes. C'est le côté commercial de l'entreprise et, avec les photographies L&L que nous avons retrouvées dans la revue Tunisie illustrée, (1910-1914) l'indice que LEHNERT et LANDROCK s'étaient intégrés dans la société européenne de Tunis. Mais leur fonds de commerce principal reste, comme l'indique clairement le titre des catalogues de vente de cette époque, les" Etudes photographiques orientales". (6) Patrick DUBREUCQ Alexandre ROUBTZOFF op cite page 102. A titre de comparaison le journal L'Illustration se vendait un franc à Paris en 1910 et dix ans plus tôt au marché des Senteurs de Tunis on vendait les essences de rose et de jasmin cinq francs le gramme, achetées dans une boutique-placard louée deux cents francs par an (Myriam HARRY Tunis la Blanche , page 74). (7) "Je me suis attachée à LAYLA, alors que jeune enfant, elle n'avait aucune expérience, et que ses camarades ne pouvaient encore distinguer les rondeurs de ses seins. Nous étions petits tous les deux, nous faisions paître nos chevreaux...." MADJOUN LAYLA, littéralement Le Fou de LAYLA, poète traduit par René R.KHAWAM dans son Anthologie de la poésie arabe (Phébus, Paris, 1995) pages 96 et 97. Alain FLEIG cite ce poème comme un écho lointain possible dans l'imaginaire arabe de la série des jeunes amoureux de LEHNERT ( Rêves de Papier, page 43). (8) Alain Fleig, Rêves de Papier, page 35 (9) Les premiers voyages (à pied) de LEHNERT en Italie sont assez mal connus. Ce sont eux qui semblent être à l'origine de la découverte de la Tunisie puisque selon les souvenirs de la fille de LEHNERT, c'est depuis Palerme qu'en 1903 celui-ci se rendant compte qu'il n'était qu'à onze heures de bateau de la Tunisie, il décida de franchir la Méditerranée. Dès au moins 1905 LEHNERT (et Landrock en 1906) aurait effectué une croisière en Méditerranée où il a notamment fait une escale à Naple et Taormine. C'est certainement lors de cette croisière qu'il a réalisé des clichés de ces deux villes mais il a pu connaître l'oeuvre de PLUSCHOW et VON GLOEDEN dés ses premiers voyages en Italie, notamment lors de sa traversée du sud et de son séjour en Sicile en 1903 (ou avant à Vienne dans la revue "Kunst"). Vers 1895, VON GLOEDEN réalisa à Tunis des portraits orientalistes de bédouines et de jeunes garçons "mis en scène" notamment à la Koubba du Belvédère déplacé en 1901, comme le fera plus tard LEHNERT. Peut-on imaginer que LEHNERT ait pu voir ces clichés à Taormine en 1903 et qu'il se serait ainsi décidé à se rendre en Tunisie? Il réalisera lui-même plus tard deux clichés d'un jeune garçon d'nspiration trés "von gloedienne" (n°168 et 169 du catalogue tunisien).Pour les voyages en Italie voir biographie note 2. (10) Lire en complément de l'anthologie de la poésie arabe parue chez le même éditeur: Mouhammad al-NAWADJI La Prairie des Gazelles, Eloge des beaux adolescents, présenté et traduit par René R.KHAWAM ( Phébus, Paris, 1989), et Ahmad al-TIFACHI Les Délices des coeurs (Phébus libretto, Paris,1981). Mouhammad al-NAWADJI dont le nom "Lumière de la Religion" indique assez bien qu'il n'était pas perçu à cette époque de l'Islam triomphant comme un impie n'applicant pas les préceptes de la Religion, considérait que toute Beauté sur Terre était la création d'ALLAH lui-même et attendait le paradis et ses palais "où nous pourrons jouir en toute quiètude des plaisirs offerts par les belles houris-et par les éphèbes, car Lui seul (ALLAH) est généreux et sait pardonner"( La Prairie des Gazelles op cite pages 18 et 19). Aujourd'hui au nom de la Loi Islamique, le pays de ce poète, l'Egypte, emprisonne les homosexuels définis selon le concept moderne établi en Occident à la fin du XIXème siècle à partir de considérations essentiellement médicales mais les textes arabes anciens montrent qu'il existaient aussi des "homophiles entre eux" et pas seulement des adultes désirant des adolescents. Le bey SADUK qui signa le traité de 1881 était particulèrement connu pour son goût des jeunes éphèbes. (11) Dés 1894 Paul MONCEAUX écrit "Les Arabes ont remplacé les Phéniciens de Carthage et du Tell, les Français remplacent les Italiens de Rome. Voilà tout". ( Les Africains, Oudin, Paris, 1894). Dans les années trente, le débat prend un tour politique plus complexe avec la thèse mussolinienne de la "Mare Nostrum" : Paul MORAND dénigre les civilisations orientales, Louis BERTRAND écrit sans aucune ambiguité: "Héritiers de Rome nous revendiquons des droits antérieurs à l'Islam" (Villes d'or, Paris, Fayard) et Pierre DUMAS va encore plus loin: "Sachons faire ce distinguo , en général trés peu connu: Rome a conquis pour son profit personnel tandis que la France a vaincu pour travailler au bien être des autochtones" (La Tunisie, Arthaud, Les Beaux Pays, 1937). A l'inverse, Gabriel AUDISIO défend une conception de l'Afrique africaine, berbère et punique avant toute chose, notamment dans son livre Le sel de la mer , Paris, Gallimard, 1936 . Dans le numéro d'avril 1936 de la revue Tunisie il écrit ". Rome ne fut qu'un moment de la Méditerranée: A la latinité, j'oppose tout ce qui a fait la civilisation méditérranéenne dans le passé: la Grèce, Judas, Carthage, le Christ, l'Islam"...Pour moi, je suis citoyen de la Méditerranée, à condition d'avoir pour concitoyens tous les peuples de la mer: y compris les Juifs, les Arabes, les Berbères, les Noirs". Cet article intitulé "Vers une synthèse méditerranéenne " est symboliquement illustré par une photo signée LEHNERT, (Le mendiant) . (12) A FLEIG, op cit "Orientalisme et Erotisme", page 32 à 36 :"L'érotisme traverse l'orientalisme comme il traverse le romantisme pictural ou littéraire et comme le fantasme traverse le mythe, exalté, installé, puisque, d'une façon ou d'une autre, c'est bien toujours de l'érotisme et des perversions de l'Autre, le dissemblable, qu'il est question" (page 32). PICASSO, de son côté, écrivait que "Art et Erotisme sont la même chose". (13) Si l'on essaie d'admettre que MATISSE a vu les cartes postales de LEHNERT lors de son voyage en Algérie en 1906, et que la "jeune bédouine" faisait partie de ces cartes (le cliché porte le n°85 dans le catalogue tunisien ce qui incite le docteur LAMBELET à penser qu'il a dû être réalisé au début de l'activité de LEHNERT à Tunis, donc peut-être avant 1906), que l'on ajoute que c'est lui qui a donné à PICASSO la statuette africaine qui donna naissance à la demoiselle de gauche (Gilles NERET, Henri MATISSE, Taschen, Cologne, 2001, page 46), on pourrait non seulement reconnaître que la demoiselle d'Avignon au centre du tableau est aussi bien une prostituée du Barrio Gottico de Barcelone qu'une prostituée de Tunis mais aussi attribuer plus témérairement avec Alain FLEIG une "dette" de PICASSO envers LEHNERT (Rêves de Papier, page26) peut-être via MATISSE. Mais on sait que MATISSE avait aussi peint une figure à la pose identique à la gauche de sa "Joie de vivre" (1905-1906) avec un dessin préparatoire que NERET date de 1905, soit avant son séjour en Algérie, ce qui semble renvoyer au domaine du fantasme la fameuse "dette"... Dans son catalogue d'exposition Le Miroir Noir, PICASSO, sources photographiques 1900-1928, L'humanité féminine, une source africaine des Demoiselles d'Avignon, (Paris, RMN, 1997, pages 69-117), Anna BALDASSARI démontre l'influence de cartes postales sur le procéssus créatif des Demoiselles d'Avignon mais avec les cartes d'Afrique noire de Edmond FORTIER éditées en 1906 et qu'un ami de PICASSO lui aurait rapporté de l'Exposition coloniale de Marseille, démonstration qui, cependant, n'est peut-être pas entièrement convaincante pour le personnage central qui nous intéresse, PICASSO ayant opté entre mai et juin 1907 pour la pose "à la LEHNERT" plutôt que pour la pose de la carte de FORTIER (Hélène SECKEL, Les Demoiselles d'Avignon, Paris, RMN 1987, pages 30 et 31): alors, dette ou pas dette??? La carte postale de LEHNERT témoigne en tous cas d'une recherche simultanée commune aux plus grands peintres et photographes, (voir les essais de SOLER et GUARRIGUES à la fin du XIXème siècle et encore une peinture de ROUBTZOFF en 1942, Patrick DUBREUCQ, op. cit. page 148) et elle connut un succés considérable, diffusée en Algérie en 1930 à l'occasion du centenaire de la présence française puis par les éditions JOMONE en carte photographique, à Paris-même dans les années vingt, par les frères BERGER, photograveurs, 9 rue Thénard. Elle a été aussi éditée par LEHNERT & LANDROCK avec la légende "Jeune marocaine de l'intérieur" ! (14) Les cartes postales représentant des nus intégraux ont été publiées en hélio (séries 200 et 300 parfois non légendées avec signature L&L Editeurs avec logo tunisien) et plus tard au Caire sous la signature L et L.C. dans une série numérotée 6000 légendée "Types d'Orient"(cartes photographiques). Il existe une série 100 avec la même légende et le dos non imprimé. On les retrouve à Tunis éditées par Editions Photomécaniques Ilustra (EPIT) dans une série trés rare en "real photo" avec marges blanches et en format 10 sur 15. Lehnert reprendra queques nus en cartes postlaes après 1930 (cartes dentelées signées Lehnert-Colisée). (15) André GIDE L'immoraliste, (Mercure de France , Folio, page 170) (16) La lecture de Fatima MERNISSI, Le Harem et l'Occident (Albin Michel, Paris, 2001) est aussi passionnante pour apprendre à différencier le fantasme du harem dans l'imaginaire et l'art de l'Occident de la réalité historique telle qu'elle a été vécue par les femmes musulmanes et représentée dans l'art arabe, (que ce soit dans la littérature ou les miniatures persannes), que pour imaginer la réaction de Madame INGRES lorsque que son mari monogame peignait ses belles odalisques, le "Bain Turc" ayant été d'ailleurs refusé du foyer conjugal par l'épouse de son premier acquéreur! Nous faisons remarquer à ce sujet que s'étant marié, LEHNERT n'a pas poursuivi au Caire son oeuvre érotique tunisienne mais peut-être aussi pour d'autres raisons que matrimoniales... (17) On ne peut s'empêcher de citer les phrases tristement célèbres de Guy de MAUPASSANT à ce sujet: "C'était une bête admirable, une bête sensuelle, une bête à plaisir qui avait un corps de femme... Je ne l'aimais pas -non- on n'aime point les filles de ce continent primitif. Elles sont trop prés de l'animalité humaine; elles ont un coeur trop rudimentaire, une sensiblité trop peu affinée pour éveiller dans nos âmes l'exaltation sentimentale qui est la poésie de l'amour" (Chair noire, 1889, cité dans Jacques MARSEILLE, l'Age d'or de la France coloniale, Albin Michel, Paris, 1986, page104). Il est vrai que dans" l'échelle des valeurs" de l'époque, la femme noire se trouvait en dessous de la femme arabe... (18) C'est ainsi qu'après avoir présenté dans Le Harem Colonial (voir note3) la carte postale comme le" degré zéro de la photographie" et la carte coloniale en particulier comme "l'instrument d'une opération concertée et systématique d'avilissement d'un peuple", "le photographe n'étant qu'un salarié anonyme du fantasme", Malek ALLOULA s'avoue aujourd'hui fasciné et aussi impuissant que le photographe témoin- instrument-voyeur de la colonisation devant la beauté des femmes d'Alger, prostituées immortalisées par les cartes postales de Jean GEISER ainsi "sorti" de l'anonymat colonial (Belles algériennes de GEISER voir note 3) etnos commentaires dans la bibliographie (Cartes postales coloniales). |
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© Michel MEGNIN août 2002 - mai 2008
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