LA CDV DU MOIS


                                                                                                                                         Et s'il n'en fallait qu'une ?

Avant de lui préférer un effet mosaïque, j''ai longtemps pensé à cette image pour la couverture de mon livre. Pourtant, elle ne figure pas même en pleine page et je ne sais toujours pas pourquoi. Je répare maintenant cette erreur car il s'agit peut-être selon moi de la plus belle photographie du livre. 

Clavier et Richan sont deux photographes pionniers à Alger que personne n'a encore su faire connaître. 
Chacun a travaillé dans son studio, Richan 1 rue de l'Aigle et Clavier sous l'enseigne "Photographie Moscovite", 8 rue Bab Azoun. 
C'est à cette adresse qu'ils signent ensemble ce véritable chef d'oeuvre.
A vrai dire, chaque détail de cette image fascine. Le décor naturel à peine suggéré ; ces lignes qui dessinent des espaces géométriques habités par l'ombre et la lumière de même que les étoffes claires dialoguent avec les coiffes plus sombres ; ces deux corps éloignés de quelques années, le plus jeune se rapprochant précisément de l'autre ; 
ces mains délicates qui se rejoignent et le même costume à peine divisé par un foulard, dérisoire brisure entre deux femmes qui partagent une pose mais aussi le même destin : celui d'une tribu encore sacralisée mais déjà menacée. 
Ces regards, enfin... 
Des regards que l'on voudrait interpréter afin d'éviter peut-être le questionnement : celui du mystère de la condition humaine et de notre propre destin. 

"Le monde nous réfléchit. Le monde nous pense. Telle est la règle fondamentale".

 Clavier sort de l'ombre.
Adolphe Clavier est en effet né à Saint-Tropez en 1822 et meurt en 1894 à Sétif où il ouvre un nouveau studio après 1874.
Dans le cadre d'une semaine algérienne organisée en mars 2009, une exposition de photos-cartes lui a rendu hommage dans sa ville natale.



AVRIL 2010                                                                                                                                       Je te regarde 

Richan a travaillé avec Adolphe Clavier à l'adresse du 8, rue Bab Azoun, mais il a aussi tenu un studio seul à l'adresse 1, rue de l'Aigle.
Il signait aussi en arabe au dos de ses cdv, et je ne lui connais que des types locaux.

Ce modèle apparaît aussi sur plusieurs photographies de Portier jeune fillette (kabyle ?) dont  la pauvreté fut bien plus trivialement mise en scène par ce photographe.

Les cheveux rebelles mais les mains sagement croisées : l'humilité forcée ne résiste pas, surtout, à l'intensité du regard de cette jeune fille qu'un "bloggueur" algérien n'hésite pas à comparer avec la jeune afghane dont l'agonie fut naguère photographiée en direct...

Fragilité, tristesse...  ce témoignage d'exploitation de la pauvreté ne suffira pas pour "condamner" Richan, tant cette image nous questionne avec force et émotion.




MARS 2010
 
                                                                                                             Henri Baudin et son domestique, Alger, 1860


Cet Henri Baudin est à peine sorti de l'enfance que le voici photographié en studio avec son domestique indigène.
Tous les deux portent le costume algérois mais le rapport de taille n'est pas celui de forces : le maître est l'enfant -déjà adulte ?- et le domestique un adulte, non émancipé.

Cette rare version masculine de la traditionnelle scène du café s'éloigne du fantasme du harem : la scène est une simple fantaisie costumée où les jeux de rôle ne font que transposer une réalité  quotidienne. Beaucoup plus intéressants sont les gestes suspendus dans le temps de la (longue) pose qui unit aujourd'hui les deux modèles.
Ceux-ci s'inclinent lègèrement sur le côté, face au photographe, mais le maître a l'avantage de pouvoir poser la main sur la table - équilibre et pouvoir - au contraire du domestique.

Le photographe se nomme Ferdinand. Il a disposé quelques accessoires sur la droite -la table et deux tasses, un rideau-  et recouvert le sol avec le tapis oriental habituel.
En revanche, pas de faux-décor pour ne pas nuire aux modèles dont les costumes ressortent parfaitement sur le fond neutre.
La technique du photographe paraît très rudimentaire, malgré l'effort louable d'imaginer une gestuelle qui reste évidemment dépendante des contraintes de l'époque.
La photo est datée 1860 -l'année du voyage impérial- et on lit la signature "Photographie Ferdinand" au dos dela cdv, sur un tampn humide.
Ferdinand est encore inscrit dans le bottin en 1863 et 1864. J'ai par ailleurs retrouvé son nom sur un carton réutilisé par Charles Leinach.


FEVRIER 2010                                                                                                                                                                 Négritude

Cette photographie est  inédite.
Elle correspond sans doute au  numéro 235 ou 236 du catalogue "Algérie" de Disdéri avec la légende "danse des nègres".
Elle a été réalisée au même endroit que la série sur la danse mauresque dont j'ai déjà publié deux versions dans mon livre, apparemment sur une terrasse d'Alger.
On peut remarquer que la composition frontale, assez neutre, est encore bien éloignée du futur "Salem,  le musicien nègre", personnage exubérant bien connu des collectionneurs de cartes postales. Comme avec les kabyles, le groupe l'emporte encore sur le type.
Reste maintenant à savoir si Eugène Disdéri est lui-même l'auteur de cette collection.
Est-il présent à Alger en 1860 et, si oui, pendant combien de temps ? A-t-il envoyé un opérateur ou a-t-il racheté les cichés à un photographe local ?
Et quant au lieu et à la date de la réalisation de cette série "festive", se déroule-t-elle bien lors du séjour de deux jours du couple impérial à Alger en septembre ?  


JANVIER 2010                                                                                                                                                      Propriétés kabyles

Disdéri et l'Algérie : l'inventeur de la CDV était jusqu'à présent connu comme un des photographes "parisiens" d'Abd-el-Kader. Mais d'autres clichés le relient désormais à l'Algérie : un catalogue inédit daté du 15 mars 1861 -peu après le voyage du couple impérial à Alger, septembre 1860- et déjà présenté dans mon livre. 
Ces "kabyles attendant leurs titres de propriété" portent le numéro 177 ou 178 d'une série qui en compte au moins 256 : scènes du débarquement de l'escorte impériale et de l'escadre dans le port, vues d'Alger, portraits des personnalités : Martimprey, Yousouf et Monseigneur Pavy, mais aussi des notables locaux ralliés comme le caid des Rabaïas ou Sid-Ahmed-el Amaly. On y trouve aussi des mauresques, des mendiants, scènes de danse et musiciens, et "Madame Levert- la préfète- distribuant aux arabes les présents de SM l'Impératrice". Quant à nos kabyles alignés en plein soleil,  ils se remettent à peine de la conquête de leurs terres par l'armée impériale et vont bientôt apprendre le discours du "royaume arabe"  qui nierait donc leur identité. 
Pour l'heure, ils attendent "leurs titres de propriété" pour la plus grande gloire de Napoléon III dont il s'agit ici de louer la politique d'équité et de réconciliation. Après 1870, ils reprendront les armes, pour leurs terres...



DECEMBRE 2009                                                                                                                                    Empires

"L'orientalisme" aurait commencé à la suite de la campagne d'Egypte de Napoléon 1er. Et donc, trouverait son origine dans l'avancée militaire de l'Occident et le colonialisme.
Cette assertion, hélas encore très fréquente, ignore notamment les turqueries inspirées par un Empire Ottoman encore nullement colonisé.

Ce sont alors les récits de voyage, la peinture, la musique et les projections de lanterne magique qui évoquent un Orient qui partage avec l'Occident le vide des photographes.

Celui que j'ai choisi ce mois-ci est un de ces obscurs techniciens de la photographie, installé à Oran au début du XXème siècle, soit plus de 200 ans après la campagne d'Egypte.
Zenou est installé 18, rue d'Arzew à l'enseigne "Photographie Française" et a pris la succession de J Cabessa.
Il utilise ici un format réduit de format  8cm sur 4 qui, avec les vignettes cartonnées de 7 cm sur 5, complètent alors l'offre commerciale des photos-cartes et des cartes-cabinet.

Un jeune garçon pose donc en uniforme de la Garde impériale. Le parti bonapartiste est décapité depuis belle lurette, c'est-à-dire la mort du prince impérial tué en uniforme anglais en terre zouloue, mais Eugénie est toujours en vie et la gloire militaire impériale fait toujours rêver les garçons. De ce point de vue, l'impopularité de Napoléon III dans la colonie d'Algérie n'a pas altéré un rêve dont l'accomplissement passe alors précisément par la reconquête de l'Alsace et la Lorraine : pas de costume local ni d'uniforme de spahi, donc, pour celui qui, dix ans plus tard, ira se battre, et peut-être mourir dans les tranchées de l'Est de la France, combattant les troupes d'un autre Empire, au côté d' "indigènes" qui vivaient aussi alors à Oran, rue d'Arzew...
 


NOVEMBRE 2009                                                          Le jeune mendiant sentinelle de Joseph Augustin Pedra, ex peintre en batiment

Joseph Augustin Pedra est né en 1809 à Milhas, commune d' Espagne où sont morts ses deux parents. Arrivé en Algérie à une date inconnue, il a ouvert un studio à Oran dont il reste beaucoup moins de traces que son activité à Tlemcen, excursion à ne pas rater depuis Oran car très riche en vestiges antiques.
Une baronnesse anglaise, Lady Herbert, raconte même sa visite chez "le seul photographe où l'on peut trouver des vues de la ville" : "Great character !" ajoute-t-elle, évoquant le photographe qui la laisse choisir, dans la petite cour d'une maison où il ne possède que deux chaises, les vues qu'elle achète "pour une somme absurdement basse" tandis qu'il finira par faire fuir un chasseur d'Afrique timide et "saoulé" par les commentaires si caustiques du portraitiste...
La scène se passe en 1871. En 1857, après un premier veuvage, Pedra s'était remarié à Batna avec une jeune femme d'origine bavaroise.
Il est alors officiellement "peintre en batiment" et sa carrière de photographe commence sans doute peu après.
En 1879, il marie son fils, qui est aussi photographe, et ses clichés  font "Le tour du monde" avec le voyage à Tlemcen illustré de M de Lorréal en 1874.
Ce garçon mendiant sentinelle est une image assez pale mais qui parle à notre sensibilité moderne avec une force peu commune.
Recadrage d'un négatif plus large, sans aucun doute, mais qu'importe !
Le focus sur le garçon, droit et de profil,  fragile, en gueunilles, à hauteur de l'objectif, le regard sombre, un peu inquiet mais coté soleil, son baton à la main, isolé dans un espace vidé par la mise au point, n'est sans doute pas étranger à ce dialogue d'un siècle et demi avec cette solitude digne et juvénile. 
Vous retrouverez le texte de la baronne et un très bel ensemble de vues stéréoscopiques de Pedra sur le site : http://www.54net.net/stereos/4.htm



OCTOBRE 2009                                                                                                                Dans une cour de ferme, près de Sétif

Ancienne ville romaine, Sétif fut détruite lors de l'invasion arabe et reconstruite après l'occupation française, en 1839. On ne connait pas l'adresse exacte de Mongin, photographe pionnier dans cette ville durant le second Empire. Les environs de Sétif, très fertiles, ont permis l'installation d'une ceinture de villages très florissants et, par décret impérial en 1858, l'attribution d'une concession de 20 000 hectares de terre à une compagnie genevoise. Cette photograhie illustre sans nul doute cet environnement agricole très actif mais on reste frappé par la mise en lumière de probables ouvriers agricoles arabes sur leur cheval tandis que l'autre "couple", celui des colons-fermiers, pose très discrètement dans l'obscur entrebaillement de la porte de leur habitation ( la femme ne livre d'ailleurs pas son visage). Les quelques cdv que je connais de Mongin sont toutes remarquables dans le sens où elles témoignent d'un intérêt constant pour les couches les plus humbles de la société. Deux sociétés cohabitent ici, ce qui n'est pas fréquent sur les photographies "posées", et les quelques outils de la vie quotidienne, à côté de la porte, témoignent d'une vie de travail où chacun joue son role, assurément, mais un role bien différent de celui des clichés mondains ou pittoresques surexploités par les studios des grandes villes.



SEPTEMBRE 2009                                                              Charles KLARY, le petit oiseau et les dames d'Oran, Alger et de Paris...

Charles Klary est né à Nancy en 1837. Cette photo-carte à bouts carrés est un portrait réalisé à Oran dans les années 1860. Klary semble en effet avoir commencé sa carrière en Algérie où il tient un studio à Oran, rue des Jardins, puis, dans les années 1870, à  Alger au 7 rue Bruce (futur studio des frères Vollenweider).
Klary est une personnalité non négligeable de l'histoire de la photographie. Il est notamment le fondateur de la 1ère école de photographie pratique en France.
Déjà, les Eberhardt revendiquent son enseignement à Oran où ils reprennent l'adresse de Klary, lui-même "élève et correspondant de Nadar".
C'est en 1879 que Klary quitte Alger pour ouvrir, avec Wilhelm Bencque, un studio situé rue Boissy d'Anglas (1879 - 1881).
Klary multiplie ensuite les traités théoriques et  pratiques dont "Le photographe-portraitiste et "La photographie du nu".
 Il signe aussi l'éditorial du 1er numéro de la revue Photogramme et se spécialise dans les portraits d'artistes et de danseuses diffusés aussi en vignettes Félix Potin.

Sur ce portrait des années 1860 signé en rouge , le portraitiste excelle déjà dans l'art de la composition avec un bel équilibre pyramidal que le mur dénudé ne vient nullement troubler (Nadar...). Le sombre soyeux de la robe et l'étoffe brodée qui recouvre la table, "invisible", culminent ainsi vers le visage éclairé par une douce lumière. "L'oiseau", pointé par une main aussi délicate que lumineuse, se découvre alors : note originale, et de caractère, très probablement souhaitée par la dame dont le sourire énigmatique ne nous révélera jamais le pourquoi... Une curiosité de cabinet ou peut-être un mari chasseur, sinon volage (!), pour une jeune femme de la haute société oranaise ou de passage dans une ville à vrai dire sans aucune influence sur la nature d'un  très élégant portrait européen, encore  "Second Empire"...


AOUT 2009                                                                                     Arnold Vollenweider, l'autre "grand suisse" d'Alger
                              (voir l'article paru dans la revue CPC n°240, août-septembre 2009)

Arnold Vollenweider est le quatrième fils de Johan Gustav Moritz Vollenweider, photographe bernois actif dès 1860 et président de la Société des Photographes Suisses de 1886 à 1888. C'est d'ailleurs en 1887 qu'Arnold est envoyé par son père pour un stage d'un an dans l'atelier du grand photographe suisse à Alger : Jean Geiser. Quatre ans plus tard, Arnold ouvre avec son frère Paul (et sans doute un viatique constitué par son père) l'atelier "Vollenweider frères" dont on trouve des cdv et cartes-album à l'adrese du 7, rue Bruce qui fut l'adresse du portraitiste Charles Klary (puis de Poter ex associé de Klary).
Un an après un mariage moins prestigieux que celui de son frère ainé, Arnold s'installe en 1897 au 14 rue Bruce et se lance sur le marché très prometteur de la carte postale. Il y excelle et devient le concurrent local principal de Jean Geiser. A noter que je n'ai pas (encore ?) trouvé de cdv ou photos-album à cette adresse. Autour de 1900, Arnold déménage 4 rue du Divan où il développe sa production de cartes postales dont le succès se tarit à partir de 1904-1906 : la concurence est rude et Vollenweider n'arrive ni à renouveler son stock d'images ni à rivaliser sur le terrain de la qualité éditoriale et du marché florissant de l'érotisme où il reste très prudent.
Cette photo-carte à bouts carrés et sur carton trés épais est postérieure à 1900, sans doute autour de 1910. On y retrouve l'adresse du 4 rue du Divan bien connue des cartophiles. La technique y est des plus classiques : un beau dégradé autour d'un buste légèrement de trois-quarts, le visage et le regard droit, comme il sied à un ecclésiastique. Le portrait de l'évêque de Constantine par Vollenweider sera aussi publié dans Le Pélerin en 1924.
Né en 1865 à Auegst (canton de Zurich), Arnold Vollenweider meurt à Alger en 1937 après avoir tenté en vain de relancer sa carrière.
L'année précédente, il était encore membre de la Société Helvétique de Bienfaisance dont Jean Geiser fut un des membres fondateurs en 1872.


JUILLET 2009                                                                                    Vollenweider-Borgeaud : une histoire suisse en Algérie  

Le nom de Vollenweider n'était jusqu' à présent connu en France que des collectionneurs de cartes postales pionnières en Algérie.
Arnold Vollenweider : concurent atypique et méconu de Jean Geiser.
Dans "La Photo-carte en Algérie", j'avais déjà précisé qu'Arnold avait débuté sa carrière avec un frère. D'abord associés à l'enseigne "Photographie franco-suisse", les frères Vollenweider ont choisi en fait de séparer leur destinée commerciale en 1897. Arnold restait dans la partie basse de la Casbah et la rue Bruce, déménage du 7 au 14 et se reconvertit dans la carte postale. Paul, son frère, désormais "redécouvert", s'installe dans le quartier moderne du boulevard Dumont d'Urville.
Né en Suisse en 1859, Paul Théodore Vollenweider est le troisième de quatre frères. Marié à Alger en 1896 avec Rose Clotilde Borgeaud, soeur ainé des très influents "frères Borgeaud", négociants, propriétaires et consuls de Suisse de père en fils, l'union est donc prestigieuse, Paul ne fut peut-être pas aussi dépendant de sa profession de photographe que son frère Arnold. Peu après 1900, il déménagea non loin,  au 75 rue d'Isly où sa présence est attestée par un portrait daté 1906.
Décédé en 1912, Paul ne laissera cependant qu'un souvenir modeste, n'ayant suivi son frère sur le marché de la carte postale que très occasionellement.
Au dos de cette photo-carte très proche de 1900 (les bouts en sont encore arrondis et l'adresse au dos est le boulevard Dumont d'Urville), on mentionne cependant la présence d'un ascenseur, signe de modernité et de confort pour les visiteurs, car l'atelier est bien sûr en hauteur pour profiter de la meilleure lumière possible.
Elle est signée P.Vollenweider-Borgeaud. Sur les cdv de la rue d'Isly, l'initiale P (Paul) n'apparaît plus. L'associée est-elle l'épouse, Rose, ou "la famille" Borgeaud ?
Arnold et Paul eurent deux frères : Emil prit la succession de l'atelier paternel à Berne et Johann Gustav, peintre, laissa quelques portraits de famille encore inconnus.



FEVRIER 2009                                                                                          Une "carte" kabyle trop impériale ?

J'ai présenté dans "La Photo-Carte en Algérie" deux cdv où le graphisme traite "d'égal à égal" la famille impériale et une fratrie kabyle photographiée par Portier.
Voici, sous la même signature Portier, un autre exemple de graphisme inhabituel : un médaillon en ovale qui rappelle au passage que les fournisseurs de cartons pour les photos-cartes fabriquaient aussi les cartes à jouer. Beaucoup viennent de la société Grimaud, Paris. Comme pour le trio impérial et les "soeurs" kabyles, le modèle est déposé et la photo-carte date des premières années Portier avec l'adresse du 7, rue Napoléon et la mention de l''appartenance à la Société Française de Photographie (Portier en est membre depuis 1863). A gauche, on peut lire les initiales du fabricant "     ", sans doute dépositaire du brevet.
La délicatesse du portrait en dégradé et la confection artisanale de la carte où le tirage a ainsi été découpé en ovale au ciseau ne doivent pas nous faire oublier la jeune fille dont l'image est ainsi conservée dans une collection de cartes dont "le jeu" des regards reste bien la règle à retrouver.
Visage de trois-quarts légèrement incliné : Portier connait déjà très bien son métier !
Avec la douce intensité du regard du modèle, l'apparence extérieure laisse la place à un véritable portrait, mais encadré dans un décor très Second Empire :
nouvel exemple saisissant du contraste entre la politique impériale arabophile et une iconographie locale avec des kabyles rebelles à peine "conquis" mais "assimilables".


JANVIER 2009                                                                                                                         Des types trop "typés" ?

Claudius Joseph Portier est né à Paris en 1841. C'est sans doute vers 1860,  un an après la mort de son père en 1859 à Paris, qu'il suit sa mère à Alger où elle se remarie en 1862. L'écrivain Charles Desprez le cite en 1865 dans les colonnes de l'Akhbar comme le dernier arrivé sur la scène algéroise : "notre jeune algérien... véritable artiste" qu'il compare alors aux plus grands : Alary-Geiser, Weil, Clavier et Richan. Installé d'abord au 7, rue Napoléon, il déménage assez vite au 9 de cette rue qui retrouve le nom de la Lyre après 1870.
Portier s'installe ensuite au 14 rue Bab Azoun avec un magasin de vente au 9, adresse plus tard reprise par Geiser.

Sans doute le plus doué de sa génération avec Jean Geiser, Portier semble avoir abandonné les affaires peu après sa cinquantième année, manquant de moyens financiers, de volonté ou d'astuce pour faire face à la concurence des Leroux (qui reprend une partie de son fonds) des Famin et autre Geiser.
Avec Mouttet, Portier est un des premiers à légender ses photos-cartes avec un "titre indicateur", appelé ainsi dans un guide-catalogue publié à deux reprises dans les années 1870. Succédant à celle de costume, la notion de "type" est aujourd'hui très contestée, d'autant qu'on le retrouve majoritairement pour le Maghreb ou le sud de la France ("types méridionaux"). Beaucoup y voient une connotation forcément raciste dans la ligne directe des fiches comparatives qui ont accompagné les développements de la photographie criminelle de Bertillon. D'autres insistent encore sur la seule apparence extérieure du costume et rappellent que la formulation des cartes postales "types et portraits" établissent une distinction entre une apparence strictement extérieure et une image plus personnalisée du modèle.
Apparence "autre", régionalisme ou racisme plus ou moins affirmé, le mot est de toute façon désormais bien trop"typé" pour que l'on puisse le comprendre très précisément selon l'usage qui en était fait et par le photographe, et par l'acheteur de la photo-carte, quelques décennies avant les légendes des cartes postales.


DECEMBRE  2008                                                                                             Harem et "intérieurs" : de Delacroix à Alary-Geiser      


C'est donc ce mois-ci que paraît enfin la biographie tant attendue que Jean-Charles Humbert consacre à la dynastie Geiser, de l'association Alary-Geiser en 1852 à l'entreprise Jean Geiser qui disparaît en 1923, plus de soixante-dix ans plus tard. Récit parfois romanesque mais qui s'appuie sur un bel ensemble de documents inédits :
Jean Geiser (1848-1923) photographe et éditeur d'art,
Ibis Press, Paris, 2008.
Ancien instituteur né à Villeneuve sur Lot en 1811, Alary s'embarqua en Algérie pour des raisons encore obscures, peut-être politiques, et commença par encadrer les daguerréotypes de Delemote. Devenu lui-même photographe, il prend sous sa protection la famille Geiser, s'associe en 1852 avec Julie Pelot, veuve Geiser, polémique avec Moulin et assure la formation des trois fils Geiser, dont Jean, le benjamin, dans l'ombre duquel  il restera jusqu'à sa mort, entre 1889 et 1895.

Pour saluer cette parution importante, voici une variante également inédite de la scène de harem déjà publiée dans mon livre et reprise par JC Humbert.
Cette fois, c'est une version verticale qui permet d'avoir une idée plus précise de la plaque originale évidemment perdue. On retrouve à l'arrière-plan le cadre de l'ancien doreur Alary et cette image qui, parmi les toutes premières, réinterprète la peinture orientaliste en utilisant le subterfuge de probables prostituées de confession juive.
Le studio fait donc office "d'intérieur" et si le réalisme photographique rend pour certains la tricherie d'autant plus scandaleuse qu'elle n'est possible que par la colonisation en terre d'Islam, d'autres retiendront avant tout un témoignage pionnier sur une prostitution immémoriale et sur ces femmes vivant dans la marginalité, quelque soit le pouvoir en place dès lors que celui-ci est entre les mains du mâle. Un sein à peine dénudé suffit à suggérer tandis que Richan, rue de l'Aigle à Alger, compose à la même époque les premières "études académiques orientales", notamment avec des modèles bien plus jeunes.
Prochainement, un dossier sur cette image et le tableau de Delacroix dont elle semble bien s'inspirer...

NOVEMBRE 2008                                                                                                                         "Une mosquée à Tougourte"

"Photographie Saharienne" rue Tourville est à Alger le premier studio qui diffuse en grand nombre, dans les années 1860, des vues des oasis du sud algérien alors accessible à cheval puis par diligence : Biskra (on disait alors Biscara), El Kantara et Tougourt en particulier.
A la même enseigne, Auguste Maure ouvrira vers 1870 le premier strudio à Biskra et son activité de "courrier" avec un oncle qui a déjà habité Biskra et dirige alors un hôtel à El Kantara et un service de diligence rend désormais possible une collaboration du jeune Auguste avec le studio algérois, d'autant qu'on trouvera la mention "Maison fondée en 1860" sur un mur du magasin de Biskra.
La vue présentée ce mois-ci est un paysage symétrique composé avec le plus grand soin autour du reflet dans l'eau de cette "mosquée à Tougourte" Un seul personnage est assis à proximité de l'entrée. Un équilibre parfait des volumes révèle un grand savoir faire pour une image très "picturale".
Rien ne prouve cependant, à ce jour, que l'auteur en est bien Auguste Maure et rien n'explique ce cas unique de studio sans photographe...


OCTOBRE 2008                                                                                  Bonbonel, chasseur de panthères, ou le ridicule du beau parleur

"Tartarin, en Algérie, armé jusqu’aux dents, se trouve dans une diligence; il se vante d’être un grand chasseur de lions et méprise tout haut un certain Bonbonel, chasseur de panthères, qu’il dit bien connaître, face à un petit homme rabougri, à lunettes et parapluie... celui-ci, au moment où il descend, suggère à Tartarin de rentrer chez lui. Tartarin s’insurge bruyamment contre ce petit homme. " Comment, vous ne le connaissez pas, s’écrie le cocher, c’est M.Bonbonel, le fameux chasseur de panthères !" Ce ridicule du beau parleur vaut aussi pour moi puisque j'ai cru bon dans mon livre de comparer Bonbonel à un Tartarin qui serait bien avisé d'épargner les vénérables lions du sanctuaire Ben Aoula. Conseil bien inutile : pendant plus de vingt ans, en effet, Charles Bonbonel s'est  effectivement livré à la destruction des animaux nuisibles et notamment, à partir de 1844, avec une mission bien précise : "défendre l'Algérie contre un ennemi cruel, insatiable, qui sans cesse revient au pillage et qu'on ne peut arrêter, faire à moi seul la chasse à la panthère. Cela devint chez moi une idée fixe, une préoccupation du jour et de la nuit, une manie, un besoin à assouvir". Un tantinet tartarineur ? N'est-ce pas le péché mignon qui guette tout chasseur ?
La dernière chasse de panthères de Charles Bonbonel eut lieu de novembre 1858 à mars 1859, soit quatre ans après son précédent séjour. Le portrait de Clavier dans son énigmatique studio "Photographie Moscovite" (8, rue Bab-Azoun), aurait-il donc été réalisé à l'occasion de cette ultime chasse ? On y reconnaît en grande tenue le Bonbonel qui, dans l'édition Hachette destinée en 1901 aux écoles et aux familles, pose avec un crane de panthère en ouverture du livre.
A noter que cette cdv figure au centre d'une page d'un album compilé par Disdéri lui-même sur le thème de la mode.
L'album est aujurd'hui conservé au Musée d'Osay et la page commercialisée sous le nom de "soldat moscovite", confusion née de la tenue de chasse et du nom du studio de Clavier. Le portrait, dont il existe au moins une variante, fut reproduit sous forme de gravure dans l'Illustration de février 1865 avec la mention Clavier.
La dernière panthère aurait été tuée en Kabylie en 1903...


SEPTEMBRE 2008                                                                                                                            Fantasmes universels

Cette photo-carte inédite est signée Alary-Geiser, sans doute le premier studio algérois qui a commercialisé des CDV : portraits civils et militaires, mais aussi "scènes et types". Alary commença sa carrière comme daguerréotypiste avec Delemotte et son association avec la veuve du père de Jean Geiser remonte à 1852.
Cette composition en studio, dont on peut admirer l'équilibre tant dans l'espace que dans la répartition des contrastes grâce notamment au tapis pendu au centre de l'arrière-plan, met en scène deux femmes voilées réunies par le regard de celle dont la main visible est gantée de noir. Sans doute pourra-t-on reprocher au photographe d'avoir cru bon de déposer un peu en avant de la scène une paire de chaussures, suggérant peut-être un effet de profondeur mais aussi un espace privé qui n'en est plus vraiment un. Les deux  femmes portent le pantalon volumineux cacatéristique des femmes d'Alger et posent d'ailleurs en "costume de ville". C'est à partir du XIIIème siècle que la haute-société algéroise s'inspira en fait de la mode andalouse, important serouel et voile rabattue sur la tête. Bien évidemment, les photographies de femmes voilées ne peuvent être regardées sans celles de femmes volontairement dévoilées au regard de l'occidental, femmes par ailleurs de confession juive ou d'origine berbère qui ne portaient donc pas le voile, mais prétendre que le voile a généré des phantasmes sexuels propres aux occidentaux est inexact. Le poète Al-Nabigha Al-Dhoubyani écrit ainsi : " le voile a glissé sans qu'elle voulût le voir tomber. D'une main le saisit et de l'autre nous fit signe d'avoir à craindre Dieu, en réprimant notre curiosité avide". Ce à quoi Dhou'l-Roummah ajoute (et répond)  : "Parmi tous les vêtements, que Dieu confonde le voile ! lequel sera pour jamais le fléau de la jeunesse. Il nous dissimule les belles, nous privant de leur vision et camouffle les vilaines pour nous induire en erreur"... 
(La poésie arabe, anthologie traduite et présentée par René Khawam, Phébus libretto, Paris 1995)
 

AOUT  2008                                                                                                                                                      Libre ?

Photographie très remarquée de mon livre, cette photo-carte est signée par un photographe algérois dont je n'avais jusqu'alors jamais vu le nom mentionné nulle part. Charles Leinack a d'abord tenu un studio 44, rue Napoléon puis, sans doute plus brièvement, à Villa-Roux (Mustapha). Son activité semble se limiter aux années 1860-début des années 1870 avec de nombreuses vues d'Alger et des types en studio qui, à vrai dire, traduisent une production standardisée, assez rarement inspirée. "L'inspiration" divine de cette composition est évidemment très datée mais, du moins, le message est clair. Le petit sauvage noir est devenu un garçon arraché à la barbarie de la nature, mais aussi de l'esclavage, ayant accés à la civilisation et à la foi chrétienne, image emblématique de plusieurs siècles de missions et d'évangélisation marchant sur les pas des militaires, mais pas toujours. Le choix du garçon noir au lieu d'un garçon arabe n'est pas vraiment fortuit,  la "race" arabe aggravant la tare de fanatisme qui caractériserait "par définition" la religion musulmane. D'autre part, il s'agit aussi d'illustrer une des priorités que s'assignera l'Eglise et notamment les Pères Blancs du cardinal Lavigerie, la lutte contre l'esclavagisme au Maghreb dont le commerce exploita le continent noir au profit multicentenaire de marchands chrétiens ET  musulmans, les razzias locales alimentant ainsi la domesticité locale et le trop fameux "commerce triangulaire" vers le Nouveau Monde.

Cette CDV fait partie de l'exposition que j'ai consacrée aux portraits d'enfants mise en ligne sur le site Luminous Lint. On la comparera évidemment avec les figures anthropométriques d'autres garçons noirs (Alary-Geiser) et les compositions esthétisantes avec d'autres jeunes enfants de même couleur (Richan, Bruneau, Prod'hom...)
Personne, hélas, ne témoignera jamais de ce que pouvait ressentir ou même comprendre alors l'enfant au moment de la prise de vue...


JUILLET 2008                                                                                                                                                        Un patio très orientaliste

J'ai publié dans mon livre une CDV de Joseph Mouttet avec un cadrage vertical resserré sur les deux personnages de cette scène (page 85). Voici une version un peu plus tardive de la même image reprise par Léonce Nesme, autre photographe algérois, où le cadrage plus large permet d'avoir une meilleure idée de la composition originale. Mouttet centrait sur le couple avec le regard de l'homme qui semble inviter la femme à le suivre. Fantasme orientalissime que le cadrage plus large permet de mieux décrire. Le patio mauresque est baigné par la lumière, espace clos dont l'exotisme est souligné par les colonnes torsadées. La femme se cache peut-être mais un pied est déjà en avant. L'homme lance une invitation par le regard sans aucune équivoque. Il a déjà un pied dans l'obscurité, de l'autre côté de la porte, seule ouverture sur un espace supposé encore plus privé... 
Le patio mauresque peut être un sujet qui se suffit à lui-même (Portier). Le photographe soigne alors le cadrage pour mieux mettre en valeur les éléments d'architecture, mais c'est aussi souvent un décor que le photographe anime en disposant ses modèles, jouant sur les zones d'ombre et de lumière, voire sur les lignes de fuite de la composition (voir la photo de Famin toujours en page 85). Ici, le photographe l'utilise comme faire-valoir pour mettre en scène un fantasme né de l'interdit absolu (le harem) et que d'autres expliciteront encore davantage avec les scènes dites de harem et les études académiques orientales.

JUIN 2008                                                                                                     Abd el-Kader : des médailles à valeur symbolique très variable... 


Grâce à une variante signée, François Pouillon m'a permis de donner ce portrait inédit aux frères Abdullah, photographes arméniens bien connus exerçant à la cour des sultans ottomans. Le cliché a pu être réalisé à Istanbul, lors d'un voyage de l'émir, ou à Damas.
Sans doute dans cette ville ou à Beyrouth, Félix Bonfils réalisa également un portrait de l'émir.
Sur ce portrait, Abd el-Kader arbore plusieurs décorations dont la Légion d'Honneur et pose la main droite sur quelques livres qui symbolisent sa retraite spirituelle. Reconnaissant envers Napoléon III, l'émir avait en effet décliné l'offre impériale de prendre la tête d'un royaume arabe sous influence française.

Il n'existe bien sûr aucune photographie de l'émir en Algérie. Prisonnier à Pau et à Amboise, Abd el-Kader a pris goût à la pose après sa libération en 1852.
Un de ses portraits le plus diffusé est une CDV par Mayer & Pierson où il arbore la "fameuse" Légion d'Honneur reçue à la suite des événements de Damas. Abd el-Kader avait alors usé de toute son influence pour protéger les Chrétiens de la ville lors de troubles violents en 1860. Comme le portrait par Mayer & Pierson fut réalisé à Paris en 1855 avant ces événements, on s'empressa alors de retoucher la photographie en y ajoutant de la Légion d'Honneur.
Spécialiste de l'iconographie abdelkadérienne, François Pouillon a montré comment une photo-carte "décorée" par Disdéri avait servi de modèle à Mohamed Racim pour un portrait peint du héros national algérien débarrassé de l'infamante médaille. Ces retouches inspirées de part et d'autre de la Méditerranée par des considérations idéologiques paraissent pourtant bien étrangères à celui qui n'aspirait plus, lors de sa "retraite", qu'à la méditation et l'étude du Coran.  
La Légion d'honneur "française" est cependant réapparue tout récemment dans l'iconographie algérienne de l'émir mais avec ses autres médailles.
Il s'agisait alors, en plein conflit dans le territoire de Gaza, de célébrer le héros algérien désormais considéré comme précurseur de la Paix au Moyen Orient.

On trouvera aussi des portraits de l'émir par Disdéri, Carjat et à cheval en studio par Delton, le spécialiste de la photographie hippique sous le Second Empire.


MAI 2008                                                                                                                                        La Gaule en Afrique

La photo-carte est donc d'abord un portrait-carte.
Mais elle devint assez rapidement le format le plus pratique pour diffuser et collectionner des types, des scènes et même des vues extérieures, lesquelles représenteraient pour la France entre 10 et 20% de la production totale.

Cette vue publiée dans mon  livre est éditée sur un carton à bout carré mais d'une certaine épaisseur (années 1865-1875),
Comme l'indique l'annotation manuscrite, elle représente "Notre Dame d'Afrique, près d'Alger" encore en cours de construction.
C'est en 1858 que l'évêque d'Alger venu de Lyon, Louis Pavy, fit commencer les travaux, cédant notamment à l'insistance de deux demoiselles lyonnaises l'ayant accompagné lors de sa nomination  à Alger en 1846.
Dès 1840, une statue de la Vierge offerte par les Dames du Sacré-Coeur de Lyon faisait l'objet d'un pélerinage où les armes des conquérants entourraient "pieusement" la statue de la Vierge. La consécration fut célébrée en 1872 par le successeur de Louis Pavy, le futur et fameux cardinal Lavigerie.
Le cliché, hélas non signé, date donc de la fin des années 1860. Telle Notre-Dame-de-Fourvière qui veille sur la capitale des Gaules, Notre-Dame-d'Afrique veille donc sur la capitale de la nouvelle colonie.

AVRIL 2008                                                                                                                            Pourquoi ?

Jean Prod'hom et sa femme Camille ont signé quelques-unes des plus belles photos-cartes des années 1860-1870 en Algérie.
Installés à Bône, ils excellent dans les portraits et les mises en scène où la recherche de la picturalité se traduit par une travail minutieux sur les gestes et les attitudes, application talentueuse qui fait oublier l'artifice des faux-décors.Quelques images témoignent aussi d'une réalité sociale peu reluisante, tel que les effets de la famine sur une population locale invitée à "poser" sa  misère en studio.
Mais c'est de politique dont il s'agirait ici...
Sur cette composition, c'est en effet le texte rajouté sur le morceau de papier principal qui retient l'attention.  
On y lit : "zinz zing ratan plan, vive les noirs, à bas les Blancs". Minuscule à noir, majuscule à Blanc. La version originale est pourtant muette mais une première version publiée dans le livre de la SEITA sur les photographes en Algérie portait au dos la mention : "futurs électeurs montrant leurs papiers de citoyens"
. Cette photo-carte citoyenne a été reprise par Ken Jacobson dans son récent Odalisques and Arabesques. Selon cet auteur, elle illlustrerait les  décrets Crémieux accordant la citoyenneté française avec une représentation nationale à l'Assemblée. La date donnée est donc "circa 1871".
Si ces décrets concernent bien la création de trois départements français en Algérie ainsi directement rattachée à la France, s'agissant de la citoyenneté, ils ne s'appliquent, comme on le sait, qu'à la seule communauté juive. C'est en fait  le 14 juillet 1865 que fut promulgué un droit à la naturalisation sur demande, applicable aussi bien aux juifs qu'aux musulmans et l
a CDV correspond selon moi à ce droit sur demande. Je la date donc "circa 1865".
Certes Prod'hom met en scène un événement politique mais savons-nous ce que cachent les regards solidairement muets de ces enfants ?
Comprennent-ils mieux que nous le sens d'une scène légendée par un slogan rantaplanesque dont on ne connaît ni l'auteur ni l'intention précise et qui illustre assez mal les attitudes peu revendicatives des enfants ? Cette lasse indifférence serait-elle l'intuition de l'inefficacité d'une loi qui s'adresse à des musulmans auxquels on demande de renoncer à la loi coranique pour devenir un citoyen français ?
Une fois encore,
comment donc se défaire de notre XXIe siècle pour déchiffrer les intentions exactes du photographe ou  le sens de l'annotation manuscrite ? Mais aussi, et surtout, la pensée réelle de ces enfants dont le "pourquoi ?" qui  fixe collectivement notre regard, désormais incapable de la moindre réponse, rend finalement bien inutile tout autre questionnement ?  

MARS 2008                                                                                                                             "Miroirs de l'histoire" ...




"Attitude sereine du personnage, très présent et ancré dans le sol.  
Sans doute un paysan devenu citadin pour vendre eau, huiles, galettes et autres objets usuels ou parfois plus inattendus, comme ce Boulouk Bachi, marionnette populaire du gendarme, représentant l'occupant  turc, dont la facétieuse ressemblance avec son porteur inspira sans doute Jean Geiser. Telle une évocation fortuite des têtes qui tombaient dans le panier sous l'autorité ottomane
et dont l'une 
d'elles resurgit ici comme un diable de sa boîte ?
Je suis frappée, ce qui m'arrive souvent avec Jean Geiser, par la beauté plastique et la sensualité vivante des drapés qui habillent ce corps érigé et sont renforcées par la mise en perspective des bouteilles qui conduisent le regard.
Le tableau, remarquable par sa simplicité, est en effet très savamment composé : le jeu subtil des lignes verticales (plis du sarwel ; poids de la bouteille qui fait corps avec le bras ; bidon et  flacons au sol) et des lignes horizontales (ceintures de flanelle, turban enroulé) crée un rythme que vient souligner et animer l'ancrage oblique du panier.Volupté aussi des matières crayeuses et vivantes.
L'homme pose, à  
son tour, comme une grande marionnette, mais ses vêtements sont empesés et modelés
sur les gestes de la vie active et du mouvement, 
du travail et du quotidien affairé.
La mise en scène travaillée du photographe n'enlève rien à la présence terrienne et habitée de l'homme qui observe celui qui l'observe".

Martine Geiser Fabry


Avec mes remerciements à Martine Geiser Fabry qui a accepté de commenter une photographie prise par son arrière grand-père. 

Pour une fois, il s'agit d'un format cabinet (vers 1880) mais dont les qualités plastiques dépassent de très loin la simple anecdote d'une reconstitution en studio

 

                               
FEVRIER 2008                                                                                                                        Famille
                                                                                             

La publication de mon livre a déjà sucité plusieurs témoignages de première importance. 
Celui de Gilles Dupont, arrière-petit-fils de Marius Maure, n'en est pas le moindre. Voici donc ajouté à la liste Auguste Maure, le père de Marius. 
Auguste est né à Marseille en 1840 et achète les murs d'un immeuble
33, rue Berthe "en face le square" (place Béchu) à Biskra en 1870 pour y installer le studio "Photographie Saharienne, maison fondée en 1860". Cette inscription sur les murs établit sans doute le lien qui manquait avec le studio du même nom installé à Alger rue Tourville. En 1860, Auguste n'a que 20 ans et il est donc encore impossible d'établir que c'est lui qui a créé le studio à Alger (ou Biskra) en 1860. 
On sait qu'orphelin à l'âge de 13 ans, Auguste a été recueilli par son oncle Bertrand qui s'est installé à Biskra très tôt puis à El Kantara pour y ouvrir un hôtel.
Qu'elle qu'en soit la date, c'est pourtant bien Auguste Maure qui ouvre avec la "Photographie Saharienne", le premier studio à Biskra.

Sur ce portrait-carte familial très simple réalisé en 1882 à l'occasion de la communion de Marius, se trouvent  les trois enfants d'Auguste. Marius, que l'on voit sur la droite, est l'ainé. Né à Biskra le 1er mai 1872, il prend la succession de son père dans les années 1890, entre l'Exposition Universelle de 1889 où Auguste remporte une médaille et la médaille obtenue en 1896 par Marius à Constantine. Auguste décède en 1907. Son autre fils également prénommé Auguste tiendra un petit hôtel tandis que Joseph s’occupera d’un moulin. La famille possédait aussi de grandes palmeraies autour de la ville. Après les Maure, les Bougault investiront la ville et illustreront aussi l'extraordinaire succés touristique de la ville. C'est d'ailleurs à Madame Landron, future épouse d'Alexandre Bougault fils que, dépité qu'aucun de ses enfants ne veuille prendre sa suite, Marius finira par vendre le studio avec le fonds et le matériel. Il finira ses jours tout près d'Alger en 1941.

(avec mes remerciements à Gilles Dupont et à Mireille Stempffer, descendante de la famille Bougault pour la photo du studio avec la mention "maison fondée en 1860")

JANVIER 2008                                                                                                                "Entre-deux"


               
Le photographe se nomme E. Jacquet, Constantine. Au dos de la carte se trouve la mention "Ancienne Maison Sarrault".
Sarrault est un des premiers photographes de la ville de Constantine et remporte encore en 1867 une médaille à l'Exposition Universelle de Paris : la succession a dû se faire peu après car Eugène Jacquet, qui est né à Besançon en 1844, est mentionné comme photographe résidant à Constantine lorsqu'il se marie à Bone, en 1870.  
On le retrouve encore photographe en 1890, domicilié à Mustapha, et ami du photographe Vital Lambla. L'adresse du studio à Constantine reste cependant inconnue.
Avec ses coins arrondis, la robe du modèle et la touche générale encore très Second Empire, cette photo-carte est antérieure à 1875, ce qui donne aussi une indication sur l'arrêt de l'activité de Sarrault. L'adresse nous reste hélas inconnue.
Jacquet réussit ici une version très rare d'un portrait-carte en Algérie. 
Ce qui frappe surtout c'est en effet le double faux-décor qui juxtapose deux mondes : un décor intérieur européen avec le piano et une échappée extérieure plus exotique avec mosquée, palmiers et minarets... Habituellement, en effet, le décor ne joue que sur un seul registre : cette jeune femme s'apprêterait-elle à jouer un air de "l'Italienne à Alger" ?
Contrairement aux recommandations alors en usage, le maintien est un peu figé et le regard fixe l'objectif. 
De toute façon, il ne s'agit ici ni de sourire et encore moins de séduire mais d'exposer sa position sociale. Cependant, l'ogive renversée sur la droite qui ferme par le bas l'ouverture vers le paysage oriental est un bel effet de composition où se rejoignent les tissus des rideaux et de la robe.
Le tirage est un peu pale mais, en son genre, c'est une image assez fascinante.

                                    La photo-carte a d'abord été un "portrait-carte", selon le terme choisi par Disdéri lui-même qui ajoute, ce qui a le mérite de la franchise.
                     "Le portrait-carte, avant d'être l'image d'un individu, est le reflet de de sa position sur la scène publique, du prestige dont il entend se parer".
  

Textes sous copyright Michel Mégnin 

2010

Aucune reproduction, même partielle, autre que celles prévues à l'article L 122-5 du code de la propriété intellectuelle, ne peut être faite de ce site, de ses images et de ses textes sans l'autorisation préalable de l'auteur.

michel.megnin@free.fr


ACCUEIL CDV

Rendez-v