Adolphe CLAVIER
                                                                                                                                          Saint-Tropez, 1821 - Sétif, 1894

Adolphe Clavier est né le 27 septembre 1821 à Saint-Tropez, à huit heures du soir. 

Son père, Jean-Jacques Clavier, est préposé aux douanes ; sa mère, Rose-Marie, est née Garcin. Sont témoins lors de la déclaration de naissance enregistrée le lendemain matin par le maire-adjoint Bernard Broquier, Louis Sanmartin, menuisier, et un propriétaire nommé Gautier, également tropéziens. Sanmartin tient son commerce face à l'hôtel de Ville. Avec son compère Gauthier, il signera tous les actes de naissance de la journée. On ne peut donc en déduire que les témoins étaient des proches de la famille Clavier dont le patronyme et la profession du père ne prouvent en rien, à l'inverse du patronyme de la mère, un ancrage méridional durable. Le nom de Clavier apparaît pour la première fois dans l’histoire de la photographie en 1865 avec l’écrivain Charles Desprez qui le cite parmi les cinq principaux studios photographiques de la ville d’Alger dans les colonnes de l’Akhbar. Desprez chante alors les louanges du jeune Claude Portier, le « dernier arrivé », ce qui laisse supposer que Clavier est peut-être installé à Alger avant 1860. Nul ne sait encore dans quelles circonstances ni même comment il a commencé à s’intéresser à la photographie. On ne peut que rappeler que, grâce à la photo-carte inventée par Disdéri en 1854, la carrière de photographe se présentait alors comme un moyen très honorable de gagner sa vie et, pour certains, comme le prolongement commercial de la pratique du daguerréotype officiellement inaugurée en 1838. Il faut aussi mentionner que l’Algérie recevait alors en « transportation » les opposants aux régimes de la métropole, et singulièrement ceux de l’Empire issu du coup d’Etat de 1851. Clavier avait alors trente ans. Quelques mois plus tard, se créait à Alger le premier studio photographique de la ville avec  l’association entre Alary, daguerréotypiste pionnier en Algérie, et la veuve d’un horloger suisse arrivée « en famille », Julie Geiser née Pelot. Avec l’invention du portrait-carte par Disdéri, les studios de portraitiste ouvrèrent peu à peu en proposant non seulement des portraits mais aussi des types algériens et des vues du pays. 

En 1865, Desprez cite donc Portier, Alary & Geiser, Weil, dont on ne sait rien pour l’instant, Clavier et Richan. Ces deux derniers ont collaboré un temps, peut-être à leur arrivée, mais ont surtout travaillé séparément. Richan est désormais connu pour des études orientales et, peut-être, pour les premiers nus réalisés en Algérie. Installé place de Chartres et rue de l’Aigle, adresse donnée également à Weil auquel il pourrait donc succéder, Richan signe en français et en écriture arabe. Clavier seul (et avec Richan) est installé 8, rue Bab Azoun, dans la partie basse de la Kasbah. D’autres photographes occuperont ce numéro 8, dont Chave, le beaucoup plus connu Paul Famin dans les années 1880 et, plus tard encore, les Lanzaro, Leca et Journo, portraitistes en série de studio qui immortaliseront jusqu’au début du XXème siècle les témoins plus ou moins anonymes de la présence française civile et militaire à Alger. Avec Leroux au 26, Portier au 14 puis au 9 et Jean Geiser qui est encore au 7 lorsqu’il meurt en 1923, Clavier figure bien parmi les premiers qui ouvrent ainsi la « voie » à ce qui va devenir « la » rue des photographes d’Alger. Le nom de son studio à Alger, « Photographie Moscovite », reste cependant une énigme. On connait la « Photographie Américaine » qu’ouvre Joseph Trésorier en 1863, photographe qui revendique dans les publicités qu’il publie dans l’Akhbar un séjour antérieur au Etats-Unis : faudrait-il en déduire que Clavier aurait séjourné en Russie ? Sur le dos de ce qui semble  être un tirage de ses premières séries de photos-cartes, l’aigle tsariste avec les insignes du pouvoir impérial sont clairement identifiables avec le mot « Russie ». Voici du moins de quoi se distinguer à Alger parmi les quelques photographes qui affichent alors l’aigle napoléonien. Plus tard, Jean Geiser reprendra l’aigle tsariste quand il se proclamera photographe officiel de la tsarine Fedorovna.

Quatre ans après la chute du Second Empire, 1874 semble une année faste pour Clavier. Au dos d’un de ses portraits-cartes, il annonce en effet une médaille à Paris et Alger avec une mention « membre de l’Académie Nationale, etc. » qui appelle d’autres recherches. Clavier mentionnera plus tard cette Académie Nationale avec des médailles obtenues à Alger en 1881 et à Constantine en 1882. Au moment où Jean Geiser s’installe au 7, rue Bab Azoun, Clavier est alors un photographe consacré. Il voit publier la même année une lettre adressée à la Société Française de Photographie où il explique comment il arrive, pour les vues extérieures, à raccourcir les temps de pose imposés par les plaques au collodion sec : « des vues de monuments bien éclairés en vingt et trente secondes, des paysages où la verdure domine en quarante à soixante-dix secondes et des intérieurs de maisons mauresques en deux minutes, alors qu’il  lui fallait un quart d’heure ». Clavier utilise alors des objectifs « globes-lens » Darlot, version française améliorée du brevet déposé par l’opticien new-yorkais Harrisson en 1860. Clavier n’utiliserait-il que le collodion sec ou amnonce-t-il le concours de la SFP (clos en 1877) pour réduire les temps de pose avec les plaques séchées ?

En 1876, un photographe nommé Etienne Sassy, né à Alger en 1852, déclare la mort du jeune fils d’un autre photographe, Joseph Mouthier, décès intervenu  au 8, rue Bab-Azoun. Clavier est-il encore à Alger ? A une date encore non déterminée, Clavier s’installe en effet à Sétif où son studio prend le nom plus attendu de « Photographie A. Clavier ». A-t-il gardé un temps deux studios ? Part-il pour Sétif pour raisons personnelles ou pour fuir la féroce concurrence algéroise ? Au moins jusqu’en 1869, un photographe nommé Mongin y avait proposé des types d’inspiration humaniste montrant, pour ce que nous en connaissons, une prédilection attachante pour les couches les plus humbles de la population locale. Curieusement, on retrouve à Sétif cet Etienne Sassy qui installe un studio rue de Constantine. Sans aucun doute, Clavier et Sassy se connaissaient. Les revoici sans doute ensemble dans un lot de onze pages d’un album dispersé avec des vues correspondant en tous points aux thèmes évoqués par Clavier dans sa lettre à la SFP : vues de monuments bien éclairés d’Alger, intérieur de maison mauresque et des paysages où la verdure domine, études végétales d’inspiration très méditerranéenne, olivier et aloès... Ces tirages sur papier albuminé sont encadrés à l’encre noire. Deux tirages sont signés « Adolphe Clavier, 8 rue Bab Azoun » et, sur une autre page, le monogramme ES qui ressort en relief, nouvel indice possible sur des relations amicales ou professionnelles entre Clavier et Etienne Sassy. Marié à Sétif en 1891, Sassy perd une fille en 1895 à son domicile de la rue Saint-Augustin. C’est dans cette même rue que décède Adolphe Clavier, le 11 août 1894 à six heures du soir. 

Adolphe Clavier est aujourd’hui présent dans les collections nationales de la Société de Géographie et du Cabinet des Estampes. Les quelques tirages que nous lui connaissons montrent un travail de portraitiste en studio avec des types et des vues extérieures. Comme ses concurrents, Clavier propose des photos-cartes coloriées, ainsi du portrait d’une femme kabyle. Le double portrait d’Ouleds-Nails cosigné avec Richan est une des plus belles réussites de la photo-carte et plusieurs autres tirages plaident pour un séjour dans la région de Biskra ouverte en 1859 aux photographes grâce à la ligne de diligence mise en pace depuis Batna par l’oncle d’Auguste Maure qui sera le premier photographe installé à Biskra peu après 1870. Surtout, le jeune cireur, la si fragile « petite fille arabe de l’intérieur » et ce vieil arabe, dont la légion d’honneur cache bien mal l’accablement, parlent encore avec grande éloquence à notre sensibilité moderne. Clavier est aussi présent dans les collections du Musée d’Orsay. Un de ses portraits se trouve en effet dans un des albums compilés par Disdéri dont le Musée s’est porté acquéreur. Commercialisé jusqu’à présent sous le nom du « soldat moscovite » (avec la page entière d’un album par ailleurs consacré à la mode), ce portrait-carte représente en fait Charles Bonbonel, chasseur de panthères dont les exploits cynégétiques en Kabylie sont passés à la postérité grâce au récit qu’il en a fait lui-même, et à Alphonse Daudet qui le cite dans son fameux Tartarin. La tenue de chasseur botté et le studio « moscovite » de Clavier sont donc à l’origine d’une confusion désormais rectifiée. Sont connues au moins deux poses d'une séance qu'il n'est guère facile de dater avec précision. Si la dernière chasse relatée par Bonbonel dans son livre a lieu en hiver 1858-1859, un article de l'llustration paru le 11 février 1865 mentionne la présence en Algérie de Bonbonnel et relate un des ses "hauts-faits cynégétiques" : "la fameuse chasse de 1863, dont deux lions furent les victimes". Le portrait de Bonbonnel, "le chasseur de lions et de panthères", est reproduit en gravure, "d'après une photographie de M. Clavier", avec un décor extérieur de rocailles reconstitué par le dessinateur. Faut-il le dater des chasses de 1858-1859 ou, plus vraisemblablement de 1863, ou 1865 ? 

Avec un autre chasseur embusqué dans le lot de onze tirages déjà mentionnés et un portrait de groupe de la Société de chasse de Sétif dans les collections du Cabinet des Estampes, voici quelques autres échantillons du travail encore trop peu connu d’Adolphe Clavier, « chasseur d’images » en Algérie, tandis que « Mohamed el Hadj, mon frère vivant », annotation manuscrite au dos d’un portrait-carte représentant un cavalier visant encore au fusil, semblerait  témoigner, grâce à notre photographe tropézien, d’une amitié fraternelle franco-maghrébine ainsi rendue à l’Histoire...

Michel Mégnin, Saint-Tropez, mars 2009

mis à jour août 2009

Avec mes remerciements à Pierre Zaragozzi, Laurence et Laurent Pavlidis, Gilles Dupont et Paul Pizzaferri.

Galerie de photos-cartes Clavier en cours de construction...

Copyright Michel Mégnin, 2009